Jeanne
Jeanne Moreau n'a pas vingt ans lorsqu'elle débute au théâtre à la Comédie Française et participe au tout premier Festival d'Avignon. Au début des années 50 elle a plusieurs fois Gérard Philipe (Le Prince de Hombourg) pour partenaire au sein du TNP fondé par Jean Vilar. Le cinéma aussi la réclame très vite : elle y enchaîne les rôles, parfois aux côtés d'acteurs célèbres (Fernandel, Pierre Fresnay, Jean Marais, Jean Gabin). Au théâtre L'heure éblouissante (1953) lui vaut un énorme succès. Parmi ses rendez-vous suivants avec la scène se trouvent deux pièces majeures, La machine infernale (de Cocteau) en 1954 et La chatte sur un toit brûlant (de Tennessee Williams) en 1956. Son premier film en couleur, La Reine Margot (1954), fait d'elle une vraie vedette de l'écran. Pourtant il lui faut encore tourner toute une série de films "noirs" avant d'être révélée par Ascenseur pour l'échafaud (1957) et de connaître la reconnaissance internationale avec Les Amants (1958), tous deux de Louis Malle.
Moderato Cantabile de Peter Brook, lui vaut un prix d'interprétation au Festival de Cannes 1960. Dans les années qui suivent elle travaille avec de très grands cinéastes : Antonioni, Demy, Buñuel… Certains rôles sont écrits spécialement pour elle, comme celui d'Eva de Joseph Losey qu'elle choisit pour le réaliser. Elle est à plusieurs reprises aux côtés d'Orson Welles comme de François Truffaut dont Jules et Jim (1962), le film le plus emblématique de son parcours d'actrice, lui fait chanter Le tourbillon. Une corde de plus à son arc, qui va se confirmer avec deux albums (les chansons de Bassiak), l'un et l'autre récompensés par l'Académie du Disque. Jusqu'aux années 80 vont s'ajouter diverses chansons liées à des films (d'Edouard Luntz, Guy Gilles, Carlos Diegues), ainsi que trois autres albums dont l'un, Jeanne chante Jeanne (1970) est né de sa plume.
Jeunes cinéastes, petits rôles, films étrangers, Jeanne Moreau ne connaît pas les frontières et se laisse guider par le seul désir. Revenant au théâtre avec La chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke (1974), puis la Lulu de Wedekind (1976), elle signe aussi la réalisation de deux fictions, Lumière (1975) et L’adolescente (1978). Parmi les films du moment, on peut citer Chère Louise (De Broca, 1971), Nathalie Granger (Duras, 1972), Les valseuses (Blier, 1973), Souvenirs d'en France (André Téchiné, 1974), Le dernier nabab (Elia Kazan, 1976) et, même s'il date de 1982, le dernier film de Fassbinder, Querelle.
Jeanne Moreau a beau n'avoir jamais cessé de travailler (elle s'est également tournée vers le petit écran, avec L'arbre de Jacques Doillon, Ennemonde de Claude Santelli mais avec aussi plusieurs téléfilms tournés en Angleterre), 1986 marque pourtant ce qu'on a appelé son grand retour, avec trois tournages (Drach, Deville, Mocky) et surtout, au théâtre, Le récit de la servante Zerline (mis en scène par Klaus-Michael Grüber), qui, joué trois saisons, et lui rapporte un Molière en 1988. Le cinéma n'est pas en reste : elle reçoit le César de la meilleure interprétation en 1992 pour son rôle de La vieille qui marchait dans la mer. Bientôt les récompenses ne se comptent plus : parmi elles un Lion d'Or au Festival de Venise (1992), un Academy Tribute au Festival de Los Angeles (1998), un Ours d'Or à Berlin (2000)… et en janvier 2001 elle est la première femme à faire son entrée à l'Académie des Beaux-Arts.
Depuis, elle a toujours été partout présente. Au cinéma, dans les années 90, elle entre dans l'univers de films d'auteur confirmés (Wim Wenders, Théo Angelopoulos) mais tourne aussi bien avec des cinéastes méconnus (Anna Karamazoff, projeté seulement au Festival de Cannes) ou dans des films à petit budget. Dans les années 2000 ceux qu'elle inspire se nomment François Ozon (Le temps qui reste, 2004), Amos Gitaï (Plus tard tu comprendras, 2007) et surtout Josée Dayan (Cet amour-là, 2000) qui, avant comme après, l'a engagée de nombreuses fois pour des œuvres destinées à la télévision (parmi elles Balzac, Zaïde, Les rois maudits). On reconnaît à certains de ses choix (films de Tsaï Ming-liang et de Manoel De Oliveira) son inlassable curiosité.
Ses dernières expériences de la scène ont en commun d'être toutes passées par Avignon : après La Célestine (1989) montée par Antoine Vitez, elle revient faire lecture avec Sami Frey du Quartett de Heiner Müller en 2007 et se trouve en 2011 aux côtés d'Etienne Daho pour Le condamné à mort de Jean Genet.
Mais le tableau serait incomplet si l'on ne citait pas Un trait de l'esprit qu'elle choisit de mettre elle-même en scène en l'an 2000 après l'avoir découverte à Broadway. Cette pièce interprétée par Ludmila Mikael fut créée au théâtre Vidy à Lausanne, puis reprise à Chaillot à Paris.
Il ne s'agit pas non plus d’omettre l'énergie qu'elle a mise au service du cinéma : ses présidences de jury et présentations au Festival de Cannes, son rôle de présidente de la Commission d'avances sur recettes du CNC, de l'association Equinoxe pendant près de dix ans, son investissement dans le cadre du Festival Premiers Plans d'Angers et dans cette même ville la création en 2005 de ses Ateliers qu'elle a voulu comme un tremplin pour les jeunes cinéastes sur le point de tourner un premier long métrage… La transmission fait partie intégrante du travail de Jeanne Moreau.